ou Les enjeux de la musique en 25 citations
Sous un titre un peu accrocheur vient de paraître un ouvrage érudit proposant une approche de la musique (classique, essentiellement) en 25 citations choisies de compositeurs, poètes ou philosophes. Ces citations sont en outre classées selon 4 thèmes : la création, le sens, le public, les effets. L’exercice est dû à un collectif d’auteurs placés sous la direction d’Elisabeth Brisson.
Même si les différents articles s’attachent à analyser en détail le contexte de chaque citation et les débats ou polémiques qu’elle a pu provoquer en son temps, on pourra aussi voir dans cet ouvrage une sorte d’histoire de la musique en (très) condensé, riche en anecdotes informatives. En effet, les auteurs laissent parler des personnalités majeures d’époques diverses, ayant «autorité» dans le domaine (de Bach à Boulez) et qui se sont par exemple trouvées pendant leur existence au coeur d’un courant musical naissant. Néanmoins, la majorité des propos retenus est le fait de créateurs des 19e et 20e siècles. Peut-être aurait-il été plus objectif de balayer de manière systématique et équitable les siècles passés ?
Toujours est-il que la première citation, de Heinrich Heine («L’essence de la musique est d’être une révélation»), permet, au delà de son sens premier et fondamental, d’introduire au furieux débat sur la critique musicale qui prit forme à Paris au 19e siècle.
Beaucoup plus lointaines, les citations de Platon et d’Aristote rappellent à quel point la musique et la danse (tant qu’elles accompagnent un texte ou un chant, au moins chez Platon) étaient considérées comme indispensables au développement de la sensibilité et des qualités d’âme de l’être humain. Mais aussi à l’aptitude au raisonnement, et ce quelques quatre siècles avant notre ère. Ce que nous avons vite oublié, particulièrement en France.
D’autres extraits donnent à réfléchir sur le rôle de la musique dans la société et pour le musicien lui-même, comme l’étonnante saillie stravinskienne : «Je considère la musique, par son essence, impuissante à exprimer quoi que ce soit» ou encore les propos de Viktor Ullman (cité deux fois), musicien tchèque déporté au camp de Thérezin et mort à Auschwitz.
Les propos de Pierre Boulez (cité deux fois également), aussi lapidaires soient-ils, permettent d’expliciter l’avènement de l’ère dodécaphonique et rappellent comment certains musiciens ont pu réagir de manière viscérale (tant parmi les prosélytes que chez les détracteurs) à cette nouvelle forme d’écriture. On ne manquera pas de relever la petite touche de complaisance des auteurs des deux articles à propos de l’incisif compositeur. Enfin, nous n’avons qu’un Boulez !
Adorno est aussi présent, pour sa puissante critique de «l’industrie culturelle» (oui déjà, juste à l’après-guerre !), ce qui permet à l’auteur de l’article une extension du propos original au plus récentes habitudes de consommation de la culture et particulièrement de l’opéra.
Emmanuel Chabrier est cité deux fois lui aussi. C’est d’ailleurs lui qui donne son titre à l’ouvrage, tout fasciné qu’il était par l’opéra wagnérien. Mais il figure encore, de manière plus anecdotique sans doute, pour l’apport de ses racines régionales dans sa musique.
Le mot de la fin revient naturellement à Schopenhauer, le philosophe de la musique par excellence, même si le propos qui en découle reste discutable - notamment dans la comparaison entre la musique et les autres arts. Mais le propre d’un essai est bien de susciter les réactions du lecteur...
On détectera certes par endroits quelques longueurs ou redondances (l’analyse du - révolutionnaire pour l’époque - Boléro de Ravel), mais d’une manière générale le style des rédacteurs est très clair et les articles bien documentés. Ils se concluent tous par une bibliographie permettant d’approfondir encore la problématique soulevée.
Il s’agit donc d’un ouvrage qui s’adresse tant au mélomane curieux qu’à l’étudiant rédigeant un mémoire et qui souhaiterait étayer son propos par quelques solides exergues. Si ce ne sont celles développées ici-même, elles pourront être extraites des nombreux ouvrages cités en référence.
«Wagner m’a tué»
Les enjeux de la musique en 25 citations
Editions Ellipse
Prix : 19,5 €