Après Stéphane Even, fondateur et gérant de Neodio, c'était au tour de Gilles Milot, qui préside aux destinées d'Acoustical Beauty et de Leedh, de se prêter au jeu des questions-réponses lors du salon du Hameau Duboeuf, avec beaucoup de gentillesse et un formidable sens didactique.
Après que l'on ait pu écouter les nouvelles enceintes Leedh C sur de nombreux programmes et en apprécier l'étonnante transparence, Gilles Milot nous livre ici par le menu en quoi la technologie développée sur ces modèles est révolutionnaire. Et pour une fois en haute fidélité, on peut véritablement parler de révolution, au delà de toute considération marketing aguicheuse mais finalement souvent mensongère...
Signal sur bruit : Gilles, bonjour ! Nous allons faire si vous le voulez bien comme avec votre confrère Stéphane Even... Votre nom est évidement bien connu dans le monde de la haute fidélité d'exception... Mais pouvez-vous nous exposer en quelques mots l'histoire de la marque Leedh ?
Gilles Milot : Bonjour... Alors, s'il on remonte assez loin dans le temps, j'ai en fait créé Micromega en 1980, à l'époque pour exploiter la marque Leedh, qui signifie Laboratoire d'Etudes et de Développements Holophoniques, que j'avais fondée en 1976. Je me suis associé avec Daniel Schaer après un an ou deux. Nous avons décidé de faire des électroniques et nous les avons appelées : Leedh. Lorsque nos chemins ont divergé, nous avons décidé que Micromega serait la marque dévolue aux électroniques et que Leedh serait celle réservée aux enceintes. Il y avait alors dans la gamme les modèles Théorème, Aura, Starlet, Elfe. Plus tard, j'ai sorti les Psyché, enceintes en béton de plâtre, qui étaient toujours fabriquées à Conflans Ste Honorine. Avant cela j'avais créé Audience, avec les modèles Perspective.
J'ai possédé la société Leedh jusqu'en 1993, c'était donc le laboratoire qui mettait au point des produits qui étaient ensuite exploités dans différentes sociétés de production. Au nombre desquelles on retrouvait Micromega, SPEA, société que j'avais créée avec Michel Reverchon. J'ai été associé avec beaucoup de gens, avec Yves-Bernard André par exemple à une certaine époque, dans Audience.
En 1989, et jusqu'à 2006, j'ai participé à la renaissance de la société Audax, qui avait déposé le bilan en 1988 et avait été rachetée par le Groupe Harman. Le patron d'Harman France m'a demandé de participer au redressement d'Audax, à la tête du bureau d'étude. Il y avait eu jusqu'à 1000 personnes chez Audax dans les années 80, juste avant le déclin qui a été très rapide. Lorsque j'ai rejoint la société il n'y en avait plus que 150. Dans les années 2000, nous nous sommes retrouvés à 750 personnes, donc c'était un très grand succès. C'était une grande satisfaction pour moi, au delà du fait d'avoir aussi conçu de nouveaux produits.
En parallèle, je continuais à exploiter la marque Leedh en réalisant de nouveaux modèles, les modèles Psyché et Nazca par exemple. Dans les années 2000, je n'avais plus le temps de m'occuper de Leedh car j'avais pris des responsabilités au niveau international dans le Groupe Harman. Mais ça a été de nouveau une période de déclin pour Audax et pour le site de Château-du-Loir. En définitive, le site existe toujours, avec 200 personnes, qui fabriquent plutôt des électroniques, et aussi un haut parleur que j'avais créé, un modèle de rupture technologique utilisé dans l'automobile, pour le compte du Groupe PSA.
En 2006, j'ai donc décidé de me lancer dans ma troisième vie professionnelle, avec un nouveau challenge ! Celui de relancer une activité économique, basée sur une nouvelle technologie de haut-parleurs, en repartant d'un projet amorcé par un de mes collègues, qui a porté le projet avant que je créée la société Acoustical Beauty. Et en exploitant deux brevets, qui sont donc mis en oeuvre sur les nouvelles enceintes Leedh. Le premier modèle de la gamme s'appele Leedh C. Elle sera suivie probablement dans environ un an par le modèle Leedh E et sans doute, un peu plus tard encore, par la Leedh G. Pourquoi CEG ? Parce que C c'est do, E c'est mi, G c'est sol, c'est donc le premier accord parfait !
SSB : En quoi consistent exactement ces deux technologies novatrices ?
GM : Elles ont été mises au point après un examen poussé de tous les défauts inhérents aux haut-parleurs traditionnels. Ces deux principaux défauts sont : la manière dont s'effectue la transformation de l'énergie électrique en énergie mécanique, qui se fait dans ce que l'on appelle le moteur électrodynamique et les défauts rédhibitoires de la suspension des membranes et de l'équipage mobile en général.
Dans le moteur électrodynamique, il y a une sorte de tare congénitale qui est la présence de fer, dans l'entrefer, qui réalise la conduction du champ magnétique en continuité avec l'aimant. Ce fer doux se comporte de manière particulièrement non-linéaire. Il est le siège de courants de Foucault, du phénomène d'hystéresis, de la modulation de flux... qui font que même lorsque l'on s'est donné beaucoup de mal pour bien amplifier un signal électrique, ce beau résultat est compromis par la présence de toute cette ferraille !
Le premier brevet est donc basé sur le concept de moteur sans fer, c'est à dire dans lequel il n'y a que des aimants. Dans la mesure où il n'est pas, ou très peu, conducteur de l'électricité, un aimant se comporte en fait comme l'air qui rayonnerait un champ magnétique. C'est à dire comme un milieu quasiment parfait. Les gens qui ont pu penser à cette solution avant nous ont dû être rebutés par le prix exorbitant qu'elle suppose, et aussi parce qu'il n'existait pas les outils de simulation permettant de calculer le champ magnétique créé par de telles pièces entièrement magnétiques. Et donc, nous avons créé un moteur parfaitement symétrique de manière à avoir le moins de défauts possible.
SSB : Mais comment fait on cela ? Faut-il pour ce faire sculpter ou modeler une matière aimantée ?
GM : C'est plutôt en rassemblant de petits aimants et en reconstruisant une forme d'entrefer, mais cette fois naturellement et entièrement magnétique. C'est un travail de dingue ! Dans chaque enceinte Leedh C, il y a trois haut-parleur actifs et un haut-parleur muet, mais qui est actif mécaniquement. Dans chacun de ces haut parleurs actifs on retrouve 600 gr d'aimant Néodyme. Dans le haut-parleur muet il y en a 700 gr. Il y a donc au total 5 kg d'aimant Néodyme sur une paire d'enceintes, et cela coûte un prix fou !
Un aimant Neodyme se fabrique par moulage, à partir de poudre de fer Néodyme-Bore, un matériau magnétique que l'on sait produire en série, et qui présente la meilleure densité électromagnétique. Il y en a différents grades. Historiquement, on a commencé par le grade EN30. On est arrivé aujourd'hui à EN 48. On est donc passés d'un champ rémanent de l'ordre de 1,15 Tesla à un champ de 1,4 T. D'où une augmentation de 30 % de la puissance des aimants au cours du temps.
La deuxième innovation, c'est la suspension de la membrane. Sur un haut-parleur traditionnel on trouve une suspension avec un bord en caoutchouc, en mousse ou en tissu, et l'équipage mobile (la membrane et la bobine conductrice qui la met en mouvement, ndlr) est guidé, à l'intérieur du haut parleur par un spider (sorte de diaphragme souple ressemblant à un soufflet d'appareil photo ancien), et à l'extérieur par ce bord roulé, ce tore que l'on voit sur le pourtour de la membrane. Ces élements sont intrinsèquement non linéaires. On voit bien qu'à partir du moment où il y a une déformation qui correspond à l'élongation maximum du système, on est en butée. Le système est saturé mécaniquement.
D'autre part, ce système possède des modes propres de résonance. Car c'est un système qui n'est pas rigide du tout, et sur un haut parleur qui fait 20 cm de diamètre par exemple, ça se met à se tortiller dès 50 Hz. Tous ces modes crééent ce que l'on appelle la coloration, qui est due à des effets de réverbération qui affectent les membranes, et aussi à cause du fractionnement de celles-ci, qui commence vers 150 Hz à leur périphérie. Et ces modes d'oscillations continuent à animer la membrane même lorsque celle-ci est stoppée dans sa course. Ces modes de torsion s'entendent énormément. C'est ce qui fait que des haut-parleurs de même diamètre et qui ont en apparence la même courbe de réponse n'ont en fait pas du tout le même son. Donc plutôt que d'essayer d'améliorer un système intrinsèquement vicié, nous avons trouvé une autre façon de guider l'équipage mobile....
L'idée qui a été trouvée est d'utiliser un joint au ferrofluide. La membrane est donc constituée d'un tube fermé à une extrémité par un dôme concave. C'est un hp à dôme avec un support de bobine qui au lieu de faire 5 mm, comme c'est le cas sur un tweeter, fait 57 mm de long et peut être utilisé aussi comme boomer. Tous nos haut-parleurs reprennent le même principe. Sur le boomer de la Leedh C, ce tube est réalisé en carbone et il coulisse dans un joint ferrofluide contenu à l'intérieur du moteur. Le ferrofluide reste en place grâce au champ magnétique et il contraint le tube à glisser, ce qui réalise le guidage. Ce joint liquide a donc une forme de tore aplati, il a une longueur d'environ 26 mm et une épaisseur de 8/10e de mm. Il est pris en sandwich entre un tube qui bouge qui porte le dôme concave et qui émet le son, et un tube qui ne bouge pas et qui constitue l'intérieur du moteur. Toutes les pièces sont réalisées en fibre de carbone.
Lorsque l'on réduit le taille d'un hp traditionnel, on réduit la surface mais aussi la largeur de la suspension, donc également son débattement maximum. On réduit donc les deux éléments qui génèrent la pression sonore, qui est proportionnelle au produit de la surface de la membrane par son excursion. C'est comme la cylindrée, la course et l'alésage d'un moteur à explosion. On limite donc terriblement le niveau maximum émissible.
L'avantage de notre conception, c'est que l'on décorrèle le paramètre diamètre du paramètre excursion. On peut donc avoir un tout petit diamètre et un très long tube... Ici nous avons un tube qui fait 57 mm, moins les 26 mm d'étalement du ferrofluide, il reste 31 mm de débattement. C'est à dire que le dôme peut bouger en piston parfait sur plus ou moins 15,5 mm ! Ca permet de faire des hp qui ont une toute petite surface, avec comme autre avantage le fait de pouvoir réduire très sensiblement le volume de charge. Et comme ce haut parleur n'a pas de force de rappel, sa fréquence de résonance à l'air libre est nulle. C'est donc le premier haut-parleur à fréquence de résonance nulle. Or on sait que plus la fréquence de résonance d'un boomer est grande, plus l'on doit le charger par un volume important. Ici, chacun des trois petits haut-parleurs qui définissent les trois voies travaille dans un volume de 0,28 litre. Au total, ce que l'on entend est le résultat d'un système qui fait moins d'un litre de volume de charge au total !