Spectacle rare et précieux, d’une mise en scène plutôt froide et sophistiquée : l'association T&M (Théâtre & Musique) propose, du 29 janvier au 5 février, la reprise de Kafka-Fragmente de György Kurtag (musique) et Antoine Gindt (mise en scène), créé en 2007, et bâti sur des citations de Franz Kafka tirées de son journal et de sa correspondance.
Le compositeur hongrois György Kurtag s’est emparé en 1985 d’un corpus choisi de citations de l’écrivain tchèque. Fidèle à son style, à son sens de l’économie musicale, de la mise à nu du discours instrumental, Kurtag a composé quelques 40 miniatures sonores pour deux voix, illustrant les interrogations et les aphorismes de Kafka.
Dans le huis clos d’une scène de théâtre inversée, à peine ouverte vers l’extérieur, figurant parfois les fantomatiques silhouettes d’un public muet, se déroule un dialogue. Dialogue entre deux personnages, campés par une violoniste et une soprano. Ou bien ne s’agirait-il que d’une seule et même personne, et le dialogue d'une déclamation ? Cette hypothèse est tentante, elle ferait de la partition la musique de l’inconscient et du chant sa verbalisation, parfois douloureuse ou amère, parfois porteuse d’espoir et de dépassement de soi.
Kafka-Fragmente ouvre, pendant une heure, un recoin d’une scène qui pourrait être celle de la caverne de Platon. Une scène lisse, carrelée, baignée d’une lumière douce mais qui dessine des barreaux verticaux sur le rideau qui la limite, et qui parfois se lève. Un lieu presque vide, quasiment privé de lien avec l’extérieur, dans lequel résonnent les seules pensées d’un personnage double. Il nous dit : «A partir d'un certain point, il n'est plus de retour. C'est le point qu'il faut atteindre». Et encore : «Il existe un but, mais pas de chemin. Ce que nous appelons chemin, c'est l'hésitation».
Replié sur lui-même ou répandu à même le sol à la recherche d'un curieux équilibre, reclus dans son observatoire abstrait qui n’offre finalement aucun dégagement visuel, le narrateur nous exhorte : «De nouveau, de nouveau, banni au loin, banni au loin. Montagnes, déserts, il faut marcher à travers un grand espace». Gindt et Kurtag semblent s’être appropriés cette assertion sans appel pour construire un lieu hors de l’espace et du temps, peuplé des seules réflexions et souvenirs d’un narrateur observé dans une stricte intimité.
Un spectacle d’une exigeante pureté, qui repose sur la magnifique performance (exécutée de mémoire) de deux grandes artistes : Salome Kammer (chant) et Carolin Widmann (violon). Un regret : que l'intégralité du texte ne soit pas surtitrée.
Ce spectacle sera de nouveau programmé dans le cadre de la saison 2010 - 2011 de T & M.
Crédits photo : Pascal Victor
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