A l'occasion du concert Ircam Introduction aux ténèbres
Signal sur bruit : Bonjour Raphaël... Pour les lecteurs, vous permettrez que je vous présente en quelques mots. Vous êtes un jeune compositeur, diplômé du CNSMP en l'an 2000, puis vous avez suivi le cursus de composition et d'informatique musicale de l'Ircam. Vous êtes déjà beaucoup joué et primé ! Vous avez composé des oeuvres pour des formations de renom telles que l'Ensemble InterContemporain, l'Itinéraire, l'ONF. Et elles ont été programmées dans de prestigieux festivals de musique contemporaine (Présence, Ars Musica à Bruxelles, festival de Donaueschingen entre autres ndlr). Vous êtes aujourd'hui professeur de composition au Conservatoire de Nanterre...
Raphaël Cendo - «Oui, c'est bien ça. Bonjour ! »
SSB : Vos œuvres ont pour titres «Scratch Data», «Décombres», «Masse métal», «Rage in the heaven city», «Action directe», aujourd'hui «Introduction aux ténèbres»... Vous définiriez-vous comme un compositeur punk, grunge ou trash ?
Raphaël Cendo - (Sourire) «Non pas du tout, même si certaines musiques orales me touchent profondément, il y a une différence de taille entre la pratique de la musique écrite et celle de la musique punk ou grunge. L’univers des sons sales, comme on a malheureusement l’habitude de les nommer par manque d’analyse, provient des expérimentations et de l’émergence de l’électronique dans les années 60. Mais il est vrai que l’énergie punk et la pensée qui va avec ne me sont pas étrangères, même s’il n’y a jamais de pont ou de lien avec ces musiques dans mon processus compositionnel.»
SSB : Vous commentez vous-même Introduction aux ténèbres, votre dernière œuvre, de cette façon : "La question de l’apocalypse chrétienne renvoie à notre propre apocalypse [...] à celle de notre communauté, mais aussi à celle de notre propre vie. Quel voile voulons-nous lever ? Quelles heures sombres nous attendent ? Et quel est aujourd’hui cet empire à détruire ?"
Est-ce la marque chez vous d'un irréductible pessimisme, ou voulez-vous plutôt marquer que de tout désastre on peut (doit ?) espérer une renaissance ?
RC – «C’est un peu les deux. Au départ, il y a volontairement une pensée nihiliste, un certain pessimisme : c’est le regard que je porte sur notre communauté, sur la question du pouvoir et donc de la manipulation. Pour les chrétiens qui vivaient en 90 après JC, il y avait une volonté de destruction de l’empire de Rome mais dans le but d’imposer un autre règne, celui du royaume de Dieux sur terre. Pour eux en effet, la destruction n’était pas une fin, mais seulement les conditions initiales pour imposer un autre pouvoir. Lorsque je pose la question «Quel est cet empire aujourd’hui à détruire ?» j’entends plutôt : quelle forme de pouvoir pourrait remplacer celui que nous connaissons…»
SSB : En quoi a constitué l'apport des experts et des technologies de l'Ircam dans l'élaboration de cette oeuvre ?
RC – «Greg Beller, le réalisateur en informatique musicale avec qui j’ai travaillé pour cette pièce, a développé tout un parcours en temps réel pour la voix et la contrebasse. Les deux solistes sont traités en direct avec différentes machines qui permettent de transformer leurs sons et de les projeter sur huit haut-parleurs. De mon côté, je me suis attaché à une écriture plus fixe de l’électronique qui est présente tout au long de la pièce. Le travail d’amplification a été assez difficile car les sons acoustiques sont volontairement très proches des sons électroniques, de manière à permettre une meilleure fusion et accentuer ce sentiment de masse sonore.»
SSB : Vous developpez le concept "d'infra-saturation" sonore. On comprend qu'il s'agit d'exploiter des résidus spectraux de sons ou d'assemblages de sons que l'on a amené à saturation, peut-être par le biais de modélisations et de simulations informatiques ? Si c’est le cas, pouvez-vous décrire les procédés mis en oeuvre ?
RC – «Le phénomène de la saturation est un phénomène chaotique et anarchique. Il est par conséquent impossible et illusoire de vouloir l’analyser, donc de le modéliser. Le travail que j’ai effectué a consister à chercher sans relâche, pendant de longues heures, avec des musiciens et bien avant l’écriture même de la pièce, pour trouver les timbres que je voulais et qui correspondaient avec mon univers. C’est à la source que la musique doit être saturée ou infra-saturée, ce n’est pas à l’électronique de le faire. Ensuite, avec mon matériau acoustique, j’ai élaboré des principes pour l’électronique, comme l’imitation de timbre… L’électronique n’effectue qu’un grand zoom dans le cœur même de l’instrument.»
SSB : Les composantes acoustique et électronique ont donc leur propre autonomie dans cette pièce ?
RC – «Comme je viens de le dire, les sons sont dejà transformés à la source, c’est pour moi important car l’électronique n’est plus utilisée pour créer des sons inouïs (comme c’est le cas dans la plupart des pièces), mais en tant que réflecteur des sons acoustiques. Cette différence est importante pour moi car elle place ces deux mondes à armes égales, l’un pouvant rivaliser avec l’autre. Ce qui se produit alors, c’est l’émergence ce que l’on pourrait appeler un hors-son ou un tiers son. La fusion entre le monde acoustique et électronique est telle qu’il se produit de nouveaux timbres, dûs à l’accumulation de fréquences.»
SSB : Raphaël, merci d'avoir répondu à nos questions !
RC - Merci à vous et à bientôt...
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