Ma découverte de Clarys remonte à une soirée d’Octobre 2008 où la chanteuse et son groupe se produisaient à la Maroquinerie. Malheureusement arrivé en retard, je plongeai en hâte vers les obscures fondations de l’endroit, pour assister à ce qu’il convient d’appeler une forme de communion, d’osmose, entre la chanteuse et le public, assis par terre.
Il faut admettre que la formation dégageait un magnétisme puissant, auquel n’était étrangers ni la frappe vigoureuse de l’étonnante batteuse Marion Granjean, ni la prestation du guitariste Guillaume Magne, sorte d’apparition christique au son acéré et aux riffs économes mais dévastateurs. Sans oublier, évidemment, cette forme d’envoûtement vocal assuré par Clarys Pivot elle-même, leader du groupe.
L’album Noce de singe, sorti peu avant, rassemble un personnel plus vaste, et adresse avec mélancolie des thèmes souvent personnels, passionnels ou désabusés. Mais dans une écriture plutôt elliptique, savamment dénuée du trop fréquent nombrilisme ostentatoire affiché par tant de jeunes artistes faisant leurs premiers pas sur scène ou en studio.
Ce qui frappe d’entrée à l’écoute de ce court album (36 mn au compteur), c’est sa qualité musicale, sa richesse d’inspiration, et surtout cette manière qu’a le groupe de ne jamais se reposer sur ses lauriers au sein d’un même morceau, de ne jamais répéter deux fois la même chose. Même si, évidement, une certaine et sombre unité se dégage du disque.
En revanche, presque tous les morceaux profitent d’une instrumentation diversifiée et d’une singulière science de la rupture, au service de compositions qui font mouche. On découvre les titres de Noce de singe, on y revient vite par curiosité, et on les adopte dans l’urgence par pure nécessité.
La production est précise et soignée, mettant bien en valeur une instrumentation variée aux effets simples et percutants. Clarys possède une voix assez envoûtante, à la fois posée et fatale, et que la prise de son rend à merveille sur tous les titres.
« Songes », qui ouvre l’album, est mélancolique à souhait et donne donc la tonalité d’un album introspectif jouissant d’une sobre mais intense dramaturgie musicale. Un peu plus loin, le décapant « Monsieur » - qui bien que fumant « des Craven A au porte-cigarette» est « de ceux qui font semblant d’avoir… » (l’air, mais de quoi ?) - suggère avec une portée toute universelle un épisode sentimental malheureux qu’aurait pu vivre Clarys – à conseiller surtout aux garçons, les filles connaissent la musique !
C’est sans doute le titre « On boit » qui a fait dire à la critique que Clarys est une sorte de PJ Harvey hexagonale. L’habile combinaison instrumentale de guitares électriques et de Fender Rhodes au son bien sale donne en effet quelques indices. Mais si l’association avec la chanteuse anglaise est certes immédiate, ce n’est certainement pas au sens où l’on pourrait dénoncer un insipide plagiat.
S’il faut trouver des points d’orgue à cet album, qu’on me permette d’afficher ma fascination pour les titres « Elle avait » avec son riff prédateur et son piano bastringue, et « Building », un morceau qui distille une mélodie au raffinement déchirant, auréolé de nombreuses trouvailles sonore (acoustiques et électriques), et de chœurs merveilleusement éthérés.
Sans oublier le noir et quasi-abyssal « Sadie ». Oh Clarys, tu nous fais mal tu sais, mais ça fait du bien.
Et parmi les titres de conclusion, on citera aussi « Libertango », reprise gentiment rock du titre d’Astor Piazolla, qui se compare sans peine à la version industrielle de Grace Jones, avec laquelle cette dernière faisait naguère chavirer les dance-floor.
On attend avec impatience un futur produit de ces premières noces.
Retour page Disques
Retour page Accueil