L’autre soir je vais dîner chez un ami qui fait profession d’enregistrer de nombreux bijoux de l’actualité musicale (jazz, world, variété inspirée, …) et qui possède un très gros système haute-fidélité. Il me fait écouter deux morceaux de T-Bone Burnett … dont j’avais maintes fois entendu parler, mais que je n’avais jamais vraiment écouté (à part l’excellent « Humans from Earth » de la BOF d’Until the End of the World de Wenders, je l’avoue sans vergogne, mais avec une petite boule dans la gorge tout de même).
L’album True-False Identity.
Génial ! Enorme ! (Ca ne veut rien dire mais je n’ai trouvé que ça)
Aussitôt entendu aussitôt acheté ? Et bien non, car chez mon épicier, pourtant bien approvisionné, ils ne l’avaient plus. Mais ils avaient le tout dernier opus, paru en Mai dernier, de cet audacieux bluesman. Tiens, gravé chez NoneSuch ? Ca ne peut point être mauvais … Et hop, dans le cabas !
Rentré chez moi, je me mets en condition : Le Fil de Camille (et son « Oooom » final d’une demi-heure, un régal), puis La Mort d’Orion de Gérard Manset (historiquement psychédélique) et enfin, T-Bone Burnett et son tout recent Tooth of Crime.
Car j’ai une dent creuse.
Le festin n’était pas terminé.
Dix morceaux de pure bravoure.
Il faut que je vous raconte …
1. Il martèle, ce rock’n’roll ! Il syncope, ce jerk ! Il balance, ce swing à trombone ! Et T-Bone, il a l’air de balancer, lui aussi ! Ses copains je veux dire … On l’imagine content de lui, lèvre dédaigneuse et basculé de tête arrogant. Ca s’appelle "Anything I can say can and will be used against you". Et je crois que tout est dit.
2. Balade-duo chaloupée aux voix innocemment innocentes au regard du titre, "Dope Island", et des paroles ("We lived outside the law/we struck with wild desire/…/But now the night’s gone dead/The hours filled with dread"). Fondations rythmiques abyssales et sonorités délicatement caverneuses. N’étaient les lyrics, le prototype du slow de l’été.
- Hein ? … Ah bon ? … Ca n’existe plus depuis 1982 ?
3. "The Slowdown". Tiens donc ? Une manière de Mc-Cartney un peu passé à la machine à tartare : hâché-menu-salé-quelques-câpres-une-goutte-de-Tabasco-bien-au-centre … et, allez hop, un œuf à cheval avec jaune mollet posé dessus ! Un rien jouissivemment répétitif, comme une marche militaire … d’objecteurs de conscience.
4. "Blind man", auquel on se raccroche, superbe duo expressioniste de la chanteuse Sam Philips et du guitariste Marc Ribot. Une vraie chanson de song-writer (comme ça, j’évite en apparence toute répétition dans la même phrase), belle et émouvante. Il a du cœur cet homme-là, quand même !
5. Tiens ! Une sorte de Mac-Cartney reconstitué, à grand renfort de jolis boum-boums très très graves et de cordes nappées de sirop d’érable. Et ça s’appelle "Kill Zone". Mon Dieu, mais où sommes-nous donc, ma chère ?
6. Et ça, c’est la corde qui doit nous pendre qu’on entend au début ? Gloups. Ah non, c’est une guitare ! … Effectivement c’est "Rat Age", mais rien à voir avec l’horoscope oriental. Voix d’outre-égout, guitare bien présente mais également souterraine, percussion et bruits de tuyaux déployés en grand arc-en-ciel sonore (ciel très couvert, toutefois). Une chanson d’anticipation qui va vous faire passer le goût de la science-fiction. Ca déménage, pas à grande vitesse, mais avec morgue et autorité. Je cite les paroles (avec l’aimable autorisation de la Faculté de Nécro-Futuristie) : "I was conceived in a behaviour station/Light years from civilisation/…/As earthman battle for their skins/I come down with the aliens". Et je vous laisse découvrir suite et fin. Ca vaut son pesant de cri de haine balancé à la face … des seulement quelques uns qui vont acheter ce disque, et qui, déjà, sont convaincus. C’est vrai, mais quand même, ça va encore mieux en le disant !
7. Ca rampe comme un serpent à sonnette qui sussurerait "Swizzle stick, swizzle stick" en permanence. Ca grince, mais là aussi, ça pousse, comme une rengaine rouillée qui couine mais qui roule. Finalement c’est ultra-binaire, je veux dire le rythme, mais c’est … venimeux … et épide(r)mique.
8. "Telepresence (Make the metal scream)". Etonnamment calme pour un titre ! … Enfin calme, en apparence. Voix métallisée déphasée, qui nous enveloppe et nous entraîne dans une mélopée en mode mineur et descendant. Déchirant comme un "Heartbreak Hotel", mais chanté par John Cale bien entendu. Vous voyez ? Et bien, c’est encore mieux, mais en pire.
9. "Here come the philistines"
Sorte d’anti-rap à caractère néanmoins dénonciateur, construit comme une litanie revancharde sur la société d’aujourd’hui … et de demain. Parsemé de riffs amers et tranchants. Un régal !
Une petite douceur pour la nuit en forme de gentil blues avec instruments anciens. La voix inquiète un peu, tout de même. Oh, si peu.
Bon, vous avez compris ? On parle de T-Bone Burnett comme on parle de mecs de la trempe de Dylan, Zappa, Captain Beefheart, Tom Waits.
Et juste après on fait silence. See what I mean ?
Et un grand merci à Philippe, grâce à qui j’ai bien entamé le T-Bone.
Les autres étapes du parcours :