dimanche 1 juin 2008

tm+ - Concert La Rose des Vents - vendredi 23 mai 2008



Laurent Cuniot nous proposait donc, pour le tout dernier concert de cette saison 2007/2008, une palette d’œuvres haute en couleur, en forme d’incitation au voyage, inspirée du cycle de Mauricio Kagel intitulé La Rose des Vents. Rappelons par ailleurs que quatre concerts de tm+ avaient mis Philippe Manoury à l’honneur cette année. Le programme de ce concert donnait encore à entendre deux œuvres récentes de ce compositeur, dont Instants Pluriels, une commande dont tm+ est le dédicataire, et donnée ce soir là en création mondiale.

L’orchestre nous emmenait tout d’abord à la découverte du Nord-Ouest, composé en 1991 par Mauricio Kagel. Cette pièce, ainsi que Sud, donné en seconde partie, fait partie de son cycle La Rose des Vents (Stücke der Windrose). Kagel est sans aucun doute l’une des figures les plus ostensiblement drôles de l’univers des compositeurs d’aujourd’hui. Sa fascination pour les sonorités «étrangères» sinon étranges, pour les effectifs hors-normes, pour une certaine forme de théâtre musical, son attitude constante d’explorateur sans frontière en font une personnalité excessivement attachante dont la plupart des œuvres restent accessibles en première écoute, même pour le profane.

Nord-Ouest se déploie tout d’abord comme une marche lente et plaintive à l’insolite polyrythmie, suivie par une seconde partie au contraire très enlevée. On y retrouve des fragments de musique andine qui résonnent comme des évocations de lieu beaucoup plus que comme de véritables citations musicales. Mais légèreté et chromatisme instrumental restent les déterminants de cette œuvre qui utilise quelques instruments exotiques (harmonium, sifflets). Tout au long de l’exécution, le chef Laurent Cuniot jouait effectivement le jeu de la contemplation, le regard tout d’abord fixé au Nord-Ouest, puis vers les autres points cardinaux du cadre de la scène, pour finalement descendre de son estrade et s’y asseoir, pensif, à l’issue du morceau.

Oi Kuu, de Kaija Saariaho, pour clarinette et violoncelle, venait en deuxième pièce. Ce duo a été composé en 1990 par la compositrice finlandaise, et constitue, au moins par sa brièveté et sa concision une manière de contrepoint aux superbes Du Cristal et … A la fumée, œuvres plus monumentales composées à la même époque (et dont on ne saurait trop recommander l’écoute). A la clarinette, Francis Touchard, ample chemise cubo-tachiste noire et blanche. Au violoncelle, Florian Lauridon, vêtu de fines rayures verticales. Ce duo tout en contrastes allait déployer la maîtrise dont il est capable pour tisser d’un souffle et d’un frottement une fine étoffe moirée. Issu du silence, l’accord liminal parfait entre vent et cordes se distendait bientôt et révélait les fêlures timbrales de chaque instrument. Une œuvre très contemplative, plutôt intérieure, elle aussi bien dans l’esprit du concert.

La soprano Rayanne Dupuis et tm+ dans Cruel Spirals

Pour clore la première partie du concert, tm+ donnait, en création française, les Cruel Spirals pour soprano et ensemble (2007) de Philippe Manoury. Il s’agit ici d’une œuvre éminemment référentielle, basée sur des écrits de Jerome Rothenberg, poète américain rencontré par le compositeur lors de son actuelle résidence à San Diego. On assistait tout d’abord à la projection de la lecture du cynique « Cruel Majority » par son auteur, lequel poème est musicalement repris par Manoury dans le premier et le dernier mouvements de cette œuvre en neuf tableaux. Cette introduction et cette coda aux faux airs de Pierrot Lunaire font partie des mouvements sarcastiques et expressionnistes de l’œuvre. Mais il s’agit une composition très variée, qui se déplie comme un livre d’images musicales, alternant en un schéma symétrique des parties incantatoires et des mouvements plus douloureux d’un grand pouvoir émotionnel. Ces derniers sont inspirés de la série de 14 Stations écrites par Rothenberg. Quatorze camps nazis. Cinq évocations musicales de cet univers. Il s’y développe un climat évoquant la plainte, dont l’exécution en quart de ton contribue à faire ressortir la profondeur mais aussi l’angoissante beauté. Un lent battement de cœur continu, scandé à la grosse caisse, supporte et ajoute de la tension à ces mouvements.

Après l’entracte, départ vers le Sud de Kagel. Un sud de faux-semblants enfin révélés, lorsque qu’un motif rythmique de tarentelle se dilue peu à peu dans le temps, en se difractant comme par passage dans un prisme. Les composantes visibles (ici audibles) qui apparaissent dans ce spectre illustrent alors une forme d’amertume et de mélancolie. Les musiciens étaient de nouveau les comédiens de ce petit théâtre musical et ajoutaient du sens à l’œuvre par le biais de leurs gestes et attitudes. Ils achevaient d’ailleurs les derniers accords de la pièce d’une manière quasi-mécanique et dans un état apparent de pétrification et d’accablement.

tm+ interprétant Instants Pluriels – crédit photo Christophe Alary

Point d’orgue de la soirée, les Instants Pluriels de Philippe Manoury, composés en 2008 à San Diego, et dont on aurait souhaité qu’ils durent plus longtemps encore. Durée, instant, là sont bien les mots-clés de l’œuvre, qui repose sur les conceptions avancées de l’auteur sur le temps dans la musique. Un temps musical qu’il oppose par exemple au temps littéraire. Le propos de Manoury est aussi de faire ressortir le côté fragile et précaire des notions de simultanéité et de causalité, la construction d’une œuvre musicale ne renfermant pas la même exigence chronologique que celle d’un roman (exception faite peut être des expériences d’un Robbe-Grillet en la matière ?). Pour faire ressortir le caractère spécifique que ces instants peuvent acquérir selon la manière dont ils sont présentés, l’orchestre se subdivisait en deux sous-ensembles d’effectif équivalent, conduits l’un par Philippe Manoury, l’autre par Laurent Cuniot. Dans une figure de tandem ajusté à la microseconde, les deux chefs s’adressaient constamment des coups d’œil ou autres signes plus marqués de synchronisation. Et les deux ensembles se renvoyaient ainsi l’écho d’une composition qui, pour être sous-tendue par une mathématique complexe, n’en était pas moins étonnamment lisible et évidente pour l’auditeur. D’une position bien centrée dans la salle, on ne perdait rien en effet, ni de l’origine géographique précise de chacun de ces instants musicaux qui la structurent, ni du rayonnement global, alterné, conjoint ou glissant, de ces deux formations. Les déphasages sonores induits n’en étaient que plus éloquents.

tm+ donnait donc une fois de plus un bel exemple de partenariat entre compositeur et formation musicale. Si l’on excepte sa très prochaine participation au Festival di Nuova Musica au Palais Farnese de Rome (le 5 Juin) et au Concert des Jeunes Compositeurs du Conservatoire de Nanterre (le 14 Juin), il faudra désormais attendre la rentrée prochaine pour pouvoir assister à sa nouvelle saison …



Signal sur bruit remercie Laurent Cuniot, Catherine Navarro et Christophe Alary (photographies) pour leur aimable concours.


Discographie sélective :

Mauricio Kagel

Stücke der Windrose : Osten, Süden, Nordosten, Südosten ; Phantasiestück
Govert Jurriaanse : flûte – Marja Bon : piano – Schönberg Ensemble direction Reinbert de Leeuw

Editeur : Montaigne Auvidis/WDR (1994)



Kaija Saariaho

Works for cello (Petals, Oi Kuu, Spins and Spells, Mirrors, Sept Papillons, Près)
Alexis Decharmes : viloncelle - Nicolas Baldeyrou, clarinette - Jérémie Fèvre, flûte

Éditeur : Aeon 637 Harmonia Mundi (2006)



Du Cristal ,... à la fumée, Nymphea
Los Angeles Philharmonic - direction. Esa-Pekka Salonen - Kronos Quartet - Anssi Karttunen : violoncelle - Petri Alanko : flûte*

Éditeur : Ondine ODE 804-2 (1993)






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